La grève de Buckingham
Journal Le Temps du 11 octobre 1906

Le 11 octobre 1906, p.1

FUNERAILLES DES DEUX VICTIMES

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Les grévistes Bélanger et Thériault inhumés ce matin

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A BUCKINGHAM

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L'avocat Lamontagne fait une harangue sur la tombe des victimes de la tragédie

Buckingham, 11. – Ce matin, à huit heures, ont eu lieu les funérailles de Bélanger et Thériault, les deux grévistes tués dans la bagarre sanglante de lundi dernier. Environ la moitié de la population de la ville a suivi les deux corbillards jusqu'à l'église et de là au cimetière où maître Yvon Lamontagne, a prononcé une brillante allocution de circonstance. Sur le parcours du cortège funèbre, plusieurs magasins étaient fermés en marque de sympathie pour la cause des grévistes.

Le cortège funèbre s'est mis en marche à 8 heures précises, de la morgue, où les cadavres ont été exposés depuis lundi. La foule composant l'imposant cortège, était si considérable qu'elle formait une double haie de près d'un demi mille de longueur. A l'église, les deux cadavres ont été placés sur un catafalque entouré de cierges. L'église fut trop petite pour contenir la foule.

M. le curé Croteau officia au service, et à l'absoute, un cœur d'une cinquantaine de voix ont chanté la messe funèbre.

Après le service, le cortège se mit en marche vers le cimetière. Les deux côtés de la route étaient bordés de curieux.

Rendus au cimetière, les deux cercueils furent descendus dans une double fosse qui fut rapidement remplies par les fossoyeurs. Avant que la foule se dispersa, maître Yvon Lamontagne, avocat des grévistes, monta sur un tertre avoisinant l'endroit où venaient de disparaître les cadavres de Bélanger et Thériault. De là durant une demie heure, il parla à la foule des événements qui venaient de se dérouler et du résultat qu'aura la révolte des travaillants.

En commençant, maître Lamontagne a fait l'éloge des deux victimes de la grève. Il a dit que Bélanger et Thériault étaient morts en héros en défendant leur vie et en combattant pour la cause du pauvre. L'orateur a conseillé aux citoyens de Buckingham d'avoir, durant toute leur vie et d'enseigner à leurs enfants le vénération du lieu où les grévistes morts pour la cause commune ont été inhumés.

Si un jour, a dit M. Lamontagne, “l'alsance vient dans notre demeure, sous votre toit, compagnons de Bélanger et Thériault qui avez combattus à leurs côtés, qui les avez vu tomber sous les balles meurtrières, cotisez-vous ensemble et élevez dans ce cimetière un monument à la mémoire de ceux qui sont tombés pour votre cause”. L'orateur a ensuite conseillé aux grévistes de ne pas céder dans leur juste demande, de ne pas tenter d'hostilité et de se conformer aux lois.

Bien que la foule dans les rues ait été considérable toute l'avant-midi on ne rapporte de nulle part qu'il y ait eu du trouble, et les militaires, de même que les cavaliers qui étaient prêts à répondre à la première alerte, n'ont eu absolument rien à faire.

Le Temps, d'Ottawa, du 11 octobre 1906, #19, 0513 P050-M221, collection de la ville de Gatineau.