La grève de Buckingham
Journal Le Temps du 12 octobre 1906

Le 12 octobre 1906, p.5

LA GREVE A BUCKINGHAM

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Elle est considérée comme étant pratiquement terminée

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Les MacLaren font venir des ouvriers de Montréal. – Le coroner Lyster blâme la compagnie MacLaren pour avoir travaillé au débarrage de la rivière et pour cause

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Buckingham, 12. – “Le Temps”, ayant été le seul journal à donner hier soir, un résumé du discours prononcé par Mtre Yvon Lamontagne, sur la tombe des grévistes Bélanger et Thériault, on conçoit que hier soir, notre journal était en grande demande ici. En moins d’une heure tous les dépots de journaux étaient épuisés de leur approvisionnement.

La situation n’a pas changé ici depuis hier. C’est le calme absolu; cependant la ville est toujours remplie d’étrangers, de policiers, de soldats, de détectives, d’amateurs de sensations etc. La journée d’hier a été encore plus calme que les jours précédents. Aux quartiers des grévistes où d’habitude la conversation est générale et animée, les centaines d’hommes qui s’y sont rendus paraissaient tristes et jongleurs. Sans doute que leurs deux camarades qu’on avait porté en terre le matin, devait être pour quelque chose dans cette attitude des grévistes, qui sont pour ainsi dire, toute la population. Dix soldats venus d’Ottawa sont retournés dans la capitale et les cinquantes autres lèveront leurs tentes et pliront bagage aujourd’hui. Il ne restera plus passé ce jour que les fantassins venus de Saint-Jean et une cinquantaine de policiers et détectives sous les ordres du chef McCaskill de la police Provinciale.

Dans la rivière en face des scieries MacLaren, les vingt employés que les propriétaires sont allés raccoler à Ottawa et à Montréal ont continué toute la journée d’hier au halage des billots. Ce travail sera complété aujourd’hui. On dit que les frères MacLaren tenteront à une heure cet après-midi de mettre leurs scieries en opération s’ils peuvent obtenir suffisamment d’hommes.

Le docteur Lyster, de Hull, et non le docteur Lachance comme les journaux d’hier l’anonçait présidera à l’enquête sur la mort de Bélanger et Thériault en remplacement du docteur Rodrigue. Le docteur Lyster est coroner officiel du comté d’Ottawa ayant succédé au coroner Graham, qui a démissionné il y a quelques années. Le coroner est attendu ici aujourd’hui. On dit que son premier acte en arrivant sera, de faire suspendre tout travaux aux scieries et usines de la compagnie Maclaren, et que ces travaux resteront arrêté tant que le nouveau corps de jury qui sera formé n’aura pas visité le théâtre de la bagarre. On reproche ici aux autorités d’avoir permis aux MaClaren de faire la halage des billots sans le consentement du coroner.

Ce matin à huit heures, les soldats et fantassins sont allés se plaindre aux officiers supérieurs que les quartiers généraux de la garnison temporaire sont trop froids et que la nuit dernière ils n’ont pu dormir. De leur côté les soldats de faction à la garde de la paix la nuit dernière déclarèrent que n’ayant pas leurs capotes d’hiver ils ont eu beaucoup à souffrir du froid.

Le convoi régulier venant de Montréal a amené ici hier, une seconde équipe de journaliers, qui prendront dit-on la place des grévistes aux scieries. Ces hommes ont été conduits vers quatre heures à la rivière où durant une heure. Ces “scabs” déclarent qu’ils resteront ici et travailleront en dépit du danger. Le canon Maxim et les fantassins de Saint-Jean protégeant les travaillants qui sont sous les ordres de MM. MacLaren en personnes. Il n’y avait aucun curieux sur le bord de la rivière hier.

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LA GREVE PRATIQUEMENT TERMINEE

(De notre correspondant particulier)

Buckingham, (midi) – Les scieries n’ont pas fonctionné ce matin. Elles ne seront pas mises en opération cet après-midi non plus. Votre représentant a parlé à maitre Yvonm Lamontagne qu’il a rencontré à la cour ce matin. Celui-ci est très affecté de l’action des autorités qui ont fait arrêter Adelard Hamelin à l’hopital Saint-Michel hier. Ce dernier, quoique convalescent de ses blessures n’a pas moins été très affecté quand on lui à servi le papier timbré. M. Lamontagne ne sait pas encore s’il agira de représaille contre ceux qui ont demandé l’arrestation d’Hamelin, mais il pourrait bien se faire que la journée ne se passerait pas avant qu’à leur tour les frères McLaren et les autres particuliers qui ont comparu à Hull l’autre jour ne soient de nouveau mis en arrestation. Les blessés sont tous dans le même état qu’hier. Le détective Warner est un peu mieux qu’hier, mais son état est toujours considéré comme étant désespéré par les médecins. Contrairement à l’attente générale, les grévistes n’ont pas eu de réunion hier soir. Depuis hier, la situation s’est encore améliorée, et l’on peut dire maintenant que la grève est pratiquement terminée.

Le Temps, d'Ottawa, du 12 octobre 1906, #19, 0513 P050-M221, collection de la ville de Gatineau.