La grève de Buckingham
Journal Le Temps du 13 octobre 1906

Le 13 octobre 1906, p.5

REVENDICATION OUVRIERE

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La compagnie McClaren accusée de provocation et de cruauté.

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LA SITUATION VRAIE

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Le maire Valilee sévèrement blâmé.

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M. le rédacteur,

Le détective McCaskill aurait dit, en descendant à la gare de Buckingham, qu’il avait pour tâche de venger l’honneur de la province de Québec, et que les coupables, fussent-ils les millionnaires ou pauvres, recevraient le châtiment mérité.

Ces paroles indiqueraient que l’autorité est prête à faire une enquête complète et impartiale.

C’est ce que les ouvriers désirent; C’est ce qu’ils ont demandé dès le début. Espérons qu’on tiendra, parole et que les responsables seront établies d’une façon incontestable.

En attendant, il est certains points que le public aimera à voir mettre en lumière, après les informations données aux journaux par les directeurs de la compagnie McClaren.

Ceux-ci ont cherché d’avance à se disculper. Tant mieux s’ils ont pu y réussir aux yeux des gens désintéressés.

Ils étaient dans le cas de légitime défense affirment-ils. C’est possible. L’enquête éclaircira ce point. Le public ajournera volontiers son jugement à cet égard.

Mais ce sur quoi il peut avoir une opinion nette, sans attendre l’enquête, c’est ce fait que la compagnie s’est armée avant même que l’à-propos d’un acte d’hostilité ait été seulement examiné par les employés qu’elle avait congédiés ou qui avaient quitté le travail.

Elle a demandé des détectives à une agence privée; ces mercenaires ont été armés et assermentés par son gérant qui est en même temps maire de la localité.

Cette situation aurait dû pourtant frapper les McClarens, et leur montré le danger d’assumer en quelque sorte la double responsabilité de provoquer l’émeute et de la réprimer.

Ils pouvaient c’est-à-dire M. Vallilee pouvait commencer par où il a fini : demander a l’autorité publique la protection dont ils croyaient avoir besoin pour réprimer une agression possible, et laisser à d’autres la responsabilité des événements.

La compagnie déclare qu’elle a été attaquée chez elle. Sur ce point, les déclarations des deux parties sont contradictoires.

Nous n’avons pas de données suffisantes pour dire qui a raison.

L’enquête nous éclaircira sur ce point particulier.

Mais une chose est certaine : c’est que la compagnie n’avait pas le droit de livrer une bataille rangée, même sur son propre terrain, pour avoir la possibilité d’exécuter les quelques travaux jugés par elle nécessaires?

Les grévistes, dit-elle sont, venus pour empêcher ces travaux.

Et puis après? Vous n’aviez qu’à céder momentanément devant la force et à dénoncer à la justice les chefs responsables de cette intervention illégale dans l’exercice de vos droits.

Vous deviez prendre acte de la violence qui vous était faite, ordonner à vos hommes de se retirer pour l’instant, et demander sans retard secours et protection à l’autorité. Mais non, cette autorité, vous l’avez repoussée quand le département de travail à Ottawa et le ministère du travail du Québec vous ont offert leurs bons offices pour le reglement de cette difficulté.

Vous vous êtes crus en état de la régler vous-mêmes, et vous avez augmenté le nombre de vos gardes. Cependant, vous et vos agents, vous n’aviez pas le droit, pas plus qu’aucun individu ordinaire, de jouer du revolver, de verser le sang des ouvriers, d’exposer la vie de plusieurs chefs de famille, tant d’un côté que de l’autre.

C’est ma manière de voir, Je puis me tromper.

Qu’on me cite l’article de la loi qui autorise un patron à s’armer pour la résistance aux grévistes en dehors de toute intervention de l’autorité légitime, et je me tais.

On m’objectera : Mais les hommes de l’agence Thiell avaient été assermentés par M. Vallille en sa qualité de maire.

Oui, je sais que M. Vallille, comme maire, a assermenté les gardes qu’il avait engagés comme gérant de l’établissement McClaren. Dans les circonstances il n’avait qu’un devoir : se récuser. Il aurait eu pour le moins un aussi bon motif de le faire que M. le coroner Rodrigue.

Cette situation de la compagnie McClaren, à la fois juge et partie, à la fois maire et industriel en mal de grève, est un des traits les plus curieux de cette affaire.

On dit que l’enquête va mettre à jour bien d’autres singularités.

Attendons

UN AMI DES OUVRIERS

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Le 13 octobre 1906, p.5

SOLDATS PARTIS DE BUCKINGHAM

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Tout est calme là-bas et la grève est terminée

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NOUVEAUX OUVRIERS

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Une vingtaine seulement d’ouvriers travaillent au halage des billots

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M. le docteur Rodrigue, coroner, à Buckingham, était à Ottawa, hier. Il est passé à nos bureaux et nous a annoncé, qu’il venait d’avoir un entretien avec l’honorable Lomer Gouin premier ministre et procureur de la province de Québec, au sujet de l’enquête sur les troubles de Buckingham.

“Vous pouvez dire à vos lecteurs”, nous a dit le coroner Rodrigue, qu’en ma qualité de citoyen de Buckingham, et pour des raisons personnelles importantes j’ai demandé au procureur général de me remplacer en la présente circonstance. Vous pouvez aussi annoncé que ce sera M. le coroner J.G. Fontaine, de Maniwaki qui, lundi matin, sera à Buckingham et présidera la continuation de l’enquête.

Tout est calme à Buckingham

Buckingham, 13. – Aucun nouveau développement depuis hier, les scieries sont toujours dans l’inactivité, la raison étant que les MacLaren n’ont pu trouver encore suffisamment d’hommes à Montréal et à Ottawa pour pouvoir faire fonctionner les machineries. Ce matin la rumeur veut que les propriétaires des scieries feront des offres aux grévistes lundi matin. Cette rumeur n’est cependant pas confirmée. Ce qui restait de militaires volontaires venus d’Ottawa, sont repartis hier soir. La milice est à présent sous la garde des fantassins de St Jean et de la police spéciale.

Lundi soir, il y aura assemblée du conseil de ville et il est probable qu’à celle-ci le maire Vallilee offrira sa démission. Les démêlés avec les grévistes en seraient la cause. Tous les journaliers de Buckingham ont appris hier avec plaisir que M. Joseph Gagnon, entrepreneur en construction de voies de chemins de fer, commencera dans quelques jours la construction d’une ligne allant vers l’intérieur des terres et qui se reliera au Pacifique Canadien, à six milles de Buckingham. Ce travail emploiera 300 hommes et les gages promises par M. Gagnon sont de $1.50 à $2.00 par jour.

Depuis que la rumeur a été mise en circulation que le maire allait démissionner on ne parle que de le remplacer par maître Yvon Lamontagne, le défenseur des grévistes. Maître Lamontagne s’est rendu éminemment populaire à Buckingham depuis le commencement de la grève, et son élection comme maire rencontrerait l’approbation générale.

La loi martiale a été suspendue hier soir à six heures, et les hôtels ont ouvert leurs portes pour le commerce. Le résultat a été que l’échafaudage des buvettes a été forte hier soir et les hôteliers ont fait des affaires d’or.

Hier après-midi, Mesdames Alexander et Albert MacLaren, accompagnées de quelques amis sont allés visiter les lieux de la bagarre. Un piquet de soldats protégeaient les visiteurs dans leur tournée.

Malgré qu’on annonce que de nouveaux hommes arrivent tous les jours pour prendre la place des grévistes. Il n’y a toujours qu’une vingtaine d’hommes qui travaillent au halage des billots sur la rivière.

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Le Temps, d'Ottawa, du 13 octobre 1906, #19, 0513 P050-M221, collection de la ville de Gatineau.